27.4.12

L'esclavage à Mayotte

Aujourd'hui, c'est jour férié à Mayotte car c'est le 27 avril qui a été choisi par le Conseil Général pour commémorer l'Abolition de l'Esclavage "dans toutes les colonies et possessions françaises", comme le dit le décret pris par le gouvernement provisoire de la République le 27 avril 1848.
Pourtant, c'est le 9 décembre 1846 qu'une ordonnance du roi des Français Louis-Philippe avait aboli l'esclavage à Mayotte (Il faudra attendre le 1er juillet de l'année suivante pour la voir appliquée).


Dans les autres Dom, la date varie également pour cette commémoration, le 10 décembre à La Réunion par exemple.
Mais il n'y a aucune manifestation officielle de prévue! Pourquoi? L'esclavage est un sujet délicat qui montre que les Mahorais sont mal à l'aise avec leurs origines et leur Histoire.
On ne peut pourtant pas dire qu'il y a eu de véritables esclaves ici comme on entend ce terme en parlant des esclaves africains sur le continent américain. Retour en arrière:
Avant l'arrivée des colons européens, les Shiraziens ont instauré une hiérarchie arabo-islamique dans la société mahoraise qui était plutôt égalitaire. Il y avait les Kabaïla, classe supérieure riche, avec les Charifou (religieux), puis on trouvait les wangwana, classe intermédiaire de personnes libres de naissance et d'esclaves affranchis. Enfin, la classe inférieure était composée de warumwa, importés du Mozambique, esclaves qui pouvaient parfois être affranchis et les makuwa, esclaves africains les plus durement traités.
Mais en 1847, comme depuis plusieurs années, il y a environ 2700 esclaves recensés, plutôt bien traités, et cette abolition laisse craindre un départ de cette population "économique" alors que les premiers investisseurs de Nantes ou de l'île Bourbon (La Réunion) ont besoin de beaucoup de main d'œuvre! Ils veulent développer la canne à sucre.
Alors l'État Français a prévu les contrats d'engagement: « Il y a malheureusement dans l'ordonnance royale du 9 décembre 1846 une clause attachée à la libération du Noir, et que celui-ci ne comprend pas très bien ; c'est celle de l'engagement de cinq années au profit de l'Etat. Cet engagement, aux yeux de la majorité des captifs, c'est la continuation de l'esclavage » 
Les nouveaux affranchis doivent donc s'engager à travailler pendant 5 ans avant d'être vraiment libres! Quand ils ont compris, ils ont dit que l'esclavage continuait et beaucoup se sont enfuis, au Mozambique portugais surtout.
On est donc allé en recruter d'autres en Inde, à Zanzibar, en Arabie, au Mozambique encore et à Anjouan, avec plus ou moins de succès.
Mais des mauvais traitements ont été constatés et en 1856, après une révolte, un arrêté a tenté d'y mettre fin, sans succès. L'immigration intensive a donc continué et elle est restée dans les mémoires comme "travail forcé".
Un siècle plus tard, dans les années 50, les Mahorais se plaignent toujours d'être obligés de faire des travaux forcés, avec entre autres le fitako, la chaise à porteurs de triste renommée, (comme à La Réunion d'ailleurs), qui pouvait conduire en prison en cas de rebellion.
Témoignages:

Le travail forcé a duré jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale laissant, lui, un souvenir vivace. Jana na léo, revue peu suspecte d'hostilité à la France, a recueilli en 1989 quelques récits de survivants du domaine de Combani qui appartenait à la société coloniale maîtresse de l'île : la Bambao.
Boulédi (60 ans): "Qui n'a pas été humilié à Combani ? Beaucoup de nos concitoyens sont morts de maladie à la suite des mauvais traitements qu'ils y ont subis. C'était l'antichambre de l'enfer. " Madi Ali Dziki (65 ans) : "Le pouvoir te désignait comme dans une dictature pour aller travailler au profit des Blancs à Combani. En cas d'absence, même de maladie, on partait en prison. Si on récidivait, on était déporté dans les autres îles. " Said Chamaouni (65 ans): "J'ai refusé la traite de Combani. J'ai été déporté à Anjouan." Baco Ousséni (environ 90 ans) : "J'étais écoeuré par les travaux forcés. J'ai enduré cette peine pendant six mois. Sur un coup de tête, quelques forçats du travail et moi nous sommes portés volontaires pour aller mourir au front s'il le fallait, au lieu d'être humiliés sur place par une poignée d'étrangers sans scrupules. Quand je suis revenu en 1945, j'ai appris qu'un an après mon départ, les Anglais avaient réussi à mettre fin à cet esclavage. " Nahi Moukou (80 ans) : "C'était la plus belle victoire d'un homme privé de sa dignité, de son honneur et de sa liberté. Des Blancs et des miliciens ont été enfermés. Les Mahorais se déplaçaient de la brousse à pied pour voir cet événement insolite. Tous les condamnés pour refus de coopérer avec la Bambao ont pu s'enfuir de prison. J'admirais la bravoure des Anglais. Ce sont des hommes d'une bonté illimitée. Vous les enfants d'aujourd'hui, vous n'avez pas connu l'enfer de Combani. Vous discutez avec les M'zoungous. Vous allez dans leurs écoles, vous parlez, vous mangez avec eux. Vous êtes des téméraires inconscients


"Quand le médecin, le "district" ou le "région" qui était le chef suprême de Mayotte, partait en tournée on le portait sur une chaise en chantant.. Tout refus d'obéissance était sanctionné par cinq à dix jours de prison ferme, des coups de pied et des gifles ... La peur du m'zoungou était telle que même si les porteurs avaient des plaies infectées sur les épaules ou sur la plante des pieds, ils n'osaient pas le dire de peur des mauvaises sanctions".
S'il n'y a pas eu de véritable esclavage comme aux États-Unis d'Amérique par exemple, les Mahorais d'aujourd'hui, en tous cas certains, savent donc ce que leurs ancêtres ont enduré sous l'autorité des Blancs. C'est pour cela qu'ils devraient mieux célébrer ce jour, pour ne pas oublier.
Heureusement que nous en parlons dans nos classes...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour cette analyse. La mienne est différente: si on parle de l'esclavage, ne faudra-t-il pas mettre les projecteurs sur 1300 ans de traite arabo-musulmane et de castration systématique des kéfirs de l'époque (les noirs musulmans d'aujourd'hui)? Un exercice qui met mal à l'aise. De plus, beaucoup de mahorais exploitent abusivement les irréguliers des îles voisines, un sujet qu'il faudrait alors mettre en parallèle.
Vous avez raison, mieux vaut que ce travail soit fait en classe.